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Risques professionnels : la santé au travail sous surveillance ? Introduction

Article du n°169-170-171 de la revue Travail et Emploi

Quels sont les effets sociaux de ces instruments de surveillance ? Sont-ils mobilisés à des fins de prévention des risques du travail sur la santé ?

Du scandale de l’amiante dans les années 1990 au procès France Télécom/Orange en 2019, les enjeux de santé au travail ont connu une forte médiatisation ces trente dernières années. Depuis 2020, la pandémie de Covid-19 a, à son tour, contribué à la mise à l’agenda de ces enjeux, et ce, à plusieurs titres. D’abord, en mettant sous les projecteurs les risques pris par les salarié·es des secteurs de la « première ligne » assurant les tâches les plus vitales à la continuation de l’ordre social, dans les secteurs de la santé, de l’alimentation, des transports ou encore du traitement des déchets. Ensuite, en ouvrant un débat sur les effets du travail à distance et du confinement sur la santé mentale de nombreux·ses autres travailleur·ses. D’un point de vue plus structurel, les profondes transformations que connaît actuellement le monde du travail, qu’il s’agisse de l’expansion du télétravail ou de la numérisation de nombre d’activités, font l’objet d’un traitement médiatique qui met en avant les réorganisations de l’espace et des temps travaillés et leurs effets sur la santé des salarié·es.

Cette médiatisation croissante a été alimentée par des mobilisations collectives dénonçant et judiciarisant les failles des politiques de prévention et d’indemnisation des maladies professionnelles, en particulier celles liées à des facteurs de risque chimique (Jouzel, 2013 ; Marichalar, 2017), cancérogène (Marchand, 2022) ou psychosociaux (Ponge, 2018). Ces mouvements protestataires ont débouché sur d’importants changements en matière d’action publique. Des plans nationaux dédiés à la santé au travail se sont succédé depuis 2004 pour réorganiser ce secteur longtemps sous-administré (Henry, 2007 ; Verdier, 2012). De nouveaux acteurs administratifs ont émergé, auxquels ont été confiées des missions relatives à l’évaluation et à la surveillance des risques auxquels sont exposé·es les salarié·es : l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, devenue Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en 2010 ; ou encore le Département santé travail de l’Institut de veille sanitaire, devenu Santé publique France en 2016.

Les interrogations de cette revue portent donc sur ces acteurs et ces dispositifs : quels sont les effets sociaux de ces instruments de surveillance ? Si ces derniers permettent de mieux connaître les liens entre travail et santé, sont-ils mobilisés à des fins de prévention des risques du travail sur la santé ? Quelle est la conséquence de leur déploiement pour les acteur·rices des politiques de santé au travail, qu’il s’agisse de services de santé au travail, d’inspecteur·rices du travail, de conseiller·ères en prévention, de responsables hygiène et sécurité d’entreprise, de représentant·es du personnel, ou des salarié·es elles et eux-mêmes ? De quelles formes d’appropriation ces instruments font-ils l’objet, de la part des médecins du travail, des entreprises spécialisées qui les commercialisent, des institutions du champ de la santé publique, des gestionnaires des ressources humaines ou encore des responsables syndicaux·ales ? Comment réagissent les travailleur·ses qui y sont confronté·es, selon leurs propriétés sociales et leurs contextes d’activité ? Les subissent-ielles et/ou en produisent-ielles eux et elles-mêmes ?

Pour répondre à ces questions et analyser la diffusion des dispositifs de surveillance et les effets juridiques, politiques, économiques et sociaux de celle-ci à partir d’enquêtes et de données originales, trois axes structurent le contenu de ce dossier.

Revue Travail et Emploi N°169